Savoir tirer parti de toutes les expériences, même les mauvaises, même les douloureuses. Relever la tête pour humer l’air du temps qui passe. L’accepter. S’y ressourcer. En 2014, Gérald De Palmas a célébré les deux premières décennies de sa carrière solo en publiant un album, entre fugue et raison, dominé par l’anglais. Bercé par la musique anglo-saxonne depuis l’adolescence, il franchissait le pas et décidait de s’exprimer dans la langue fantasmatique de la pop. A l’aise en studio, il ne l’a pas été autant au cours de la tournée qui a suivi. Et même si son public a respecté son choix, Gérald a craint de voir un fossé se creuser entre eux. Pour La beauté du geste, il a convenu de joindre à nouveau la parole en français. A l’âge des premiers bilans, le besoin de s’adresser aux autres le plus directement possible, le plus crûment peut-être, s’est fait ressentir. Pour lui, comme pour eux. La chanson, c’est souvent l’art de nuancer, de farder les choses de la vie. Mais alors que Gérald se sentait parfois otage de cette nécessité de faire sonner sa langue natale, parvenant même à développer un phrasé unique qui a amplement contribué à son succès, il a souhaité se repositionner. Se libérer des cases de son échiquier. Plus question de ménager la chèvre et le chou, l’heure est à la franchise. Du collier.
La majorité des textes de La beauté du geste ont été écrits avant les mélodies, et c’est la caractéristique la plus flagrante de l’album. Le chemin inverse est souvent pernicieux. Gérald de Palmas a commencé par travailler seul dans son coin, en Normandie. Tel un sorcier-geek au milieu de sa collection de synthétiseurs vintage, il s’est mis à bidouiller. Des heures durant. Avant de réaliser qu’il se fourvoyait : accorder trop de temps au son se fait souvent au détriment des chansons. Gérald est finalement retourné à la Réunion – où il est né et réside aujourd’hui — pour repartir de zéro. Avec du papier et une guitare. Revenir à la base de l’écriture. Aux mots essentiels, ceux qui giclent, après avoir surfé sur les maux.
Cette volonté de démarrer par les textes allait être son nouvel angle. D’attaque. Des vers forts, des couplets bruts, des refrains vivants, jetés comme du charbon sur la neige, dès l’aube. Des matins d’écrivain. A rester dans une bulle en esquivant les agressions du quotidien. Utiliser des subterfuges pour se retrouver avec soi-même, c’est également un art. Parfois, Gérald De Palmas écoutait Georges Brassens, qui l’a influencé de manière indirecte. Comme Juan Rozoff, qu’il découvrait à vingt-trois ans, n’en croyant pas ses oreilles. Un Français capable de groover comme Prince ? Gérald n’a jamais voulu sonner comme Juan, mais ce dernier lui a indiqué une porte, à ouvrir, à pulvériser. A vingt-cinq ans d’intervalle, ces artistes l’ont stimulé, sans qu’il ressente le besoin de les imiter. Ils lui ont seulement montré la voie.
Puisqu’il est question de retour aux fondamentaux, La beauté du geste a été enregistré à l’ancienne, avec des vrais gens. Gérald de Palmas a booké un studio de répétition parisien pendant deux mois, y a déposé son matériel (l’ordinateur, les vieux synthés) et convoqué ses musiciens. Ils ont tout enregistré sur place. Et même mixé le disque. Dix chansons captées pour la plupart dans les conditions du live. Les voix notamment. Car avec un groupe aux fesses, Gérald, qui profite de son énergie, chante mieux. Il a conservé la plupart de ces moments rares, lorsque les musiciens découvrent une chanson. Elles s’ouvrent à eux et ils s’amusent avec. Lui, le chanteur réservé, s’est donné à fond, comme pour esbroufer son groupe. Cette magie de l’instant a été saisie.
Les titres de La beauté du geste sont des ricochets. “Il faut qu’on s’batte”, “T’es belle à en crever”, “J’ai envie de toi”, de splendides gifles. Elles griffent le vernis superflu. Ne tournent pas autour du pot. En 2016, Gérald de Palmas n’est pas beaucoup plus vieux qu’à ses débuts. C’est à peine s’il est moins jeune. Il parle presque toujours de lui à travers les personnages de ses chansons, car c’est ainsi qu’il aime communiquer. Il dit avoir été épargné par les années jusqu’à ce que les ennuis le rattrapent et creusent son visage. Quand on assiste à un de ses concerts, on ne voit pas bien à quelles rides il fait allusion. Dans “Le jour de nos fiançailles”, “Rose pleure” ou “Lawrence d’Arabie”, Gérald multiplie les aveux et les constats, mais certainement pas pour qu’on s’apitoie sur son sort. Il a su rebondir, tirer avantage des fractures et des ruptures, gommer les regrets. Dans la chanson-titre, il confesse, sans desserrer les dents, “ne plus chercher la beauté du geste”. On le reconnaît bien là. Car cette beauté, elle est en lui depuis longtemps. Il lui suffisait de trouver le moyen de la laisser jaillir. Histoire de rattraper ce temps qu’il n’a même pas perdu.
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